Entre la Nation de Mauras et celle de Robespierre, il y a une lutte
inexpiable.
Frédéric Lordon
Le comédien Lorànt Deutsch, reconverti dans l' histoire bas de gamme... l' essayiste Michel Onfray, bizarrement entiché de Charlotte Corday... Michel Wieviorka, sociologue multicarte, compare l' Organisation de l' État islamique à "la France de Robespierre"... l'éditorialiste Franz-Olivier Giesbert voit en lui un "précurseur du lepénisme"... De la démonologie grand public.
Seigneur des poncifs anti-robespierristes, François Furet, allait, à partir des années 1960, communiste repenti devenu un essayiste libéral influent, proposer : d' un côté1789, la bonne révolution, celle des élites éclairées; de l' autre 1793, le "dérapage", l'irruption brutale des masses dans la politique.
Furet présente Robespierre comme un "manoeuvrier", qui sait s' appuyer sur "l'opinion populaire" et sur la redoutable "machine" politique que constituent les clubs jacobins. Mais il y a aussi, derrière les habiletés du politicien, une dimension pathologique : le Robespierre de Furet est emporté par son obsession du complot, sa surenchère démocratique, sa logorrhée utopique, qui mènent inévitablement à la Terreur et au totalitarisme.
Son interprétation, lourde d' arrière-penséées politiques, rencontra un écho favorable dans le contexte des années 1970 et 1980, entre mobilisations antitotalitaires et conversion libérale des socialistes français.
Un ambitieux Robespierre? Il n' a jamais accepté qu' avec réticence les charges qui lui étaient offertes et a même choisi, lorsqu'il était député de la Constituante, de ne pas se représenter à la Législative, incitant ses collègues à faire de même pour "laisser la carrière à des successeurs frais et vigoureux". Un ennemi du genre humain? Il s' est prononcé pour la pleine citoyenneté des Juifs et contre le système colonial. Un tyran? Il a défendu très tôt et très seul le suffrage universel, s' est battu pour le droit de pétition et la liberté de la presse, et n' a pas cessé de mettre en garde les citoyens contre la force militaire et les hommes providentiels. Un fanatique sanguinaire? Il a longtemps réclamé la suppression de la peine de mort et un adoucissement des sanctions. Si face aux périls qui menaçaient la République il s' est rallié à la politique de la Terreur, il n' en a jamais été le seul responsable, ni même le plus ardent.
Se réclamer de Robespierre, c'est d'abord rappeler que la Révolution n' est pas terminée et reprendre le programme ébauché au cours des débats sur la Constitution de 1793 : celui d' une république exigeante, démocratique et sociale.
Sans lui donner toujours et en tout raison, qui peut prétendre qu' un tel homme n' a plus rien à nous dire?
TIRÉ D' UN ARTICLE DE MAXIME CARVIN
DANS LE MONDE DIPLOMATIQUE DE NOVEMBRE 2015
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