A DANIA,
Dans cette période, conventionnelle à la nausée, aux bons sentiments poisseux et aux amours dégoulinants, excitante est la conversation de cette amie plus âgée qui, par son alacrité caustique, me rappelle une de mes tantes, ma seconde mère, même la première par l' esprit; j' avouai à cette amie
qu ' au détour de ma vie amoureuse, je découvrais la haine à 67 ans ! Elle a souri : " A ton âge, on vit avec sa haine comme avec ses douleurs physiques ". Elle s' étonnait même que j' aie attendu autant pour en éprouver, tout en ajoutant : " avec l' âge, on hait davantage et... mieux ! "; et d' évoquer, en malice, le sifflant " Noeud de Vipères " de François Mauriac.
Je lui concédai que j' avais eu, dans mon métier, quelque inimitié pour des chefs d' établissement, des collègues ou des parents d' élève qui le méritaient; mais c' était, rapidement, pour ma tranquillité.
" On ne peut pas discuter avec Monsieur Sarocchi " m' a rapporté un proviseur d' une mère de lycéen; à quoi j' ai répondu qu' elle m' en donnait pas envie ni de rien d' autre d' ailleurs. Cela peut être simple
d' être tranquille... : vertu du statut Fonction Publique ! J' ai eu, dans ma vie militante, quelques différends politiques que d' aucuns considéraient comme " courageux " alors que je n' y mettais aucune implication personnelle, affective. Là, ce fut plus compliqué parce que l' homme d' appareil est tenace. En somme, des hostilités de bon aloi...
Mais, cette fois, en sortie de secours d' un amour de calamité, après un temps d' affolement, je vis dans une haine sereine, sans éclats déplacés, mais avec application. Si haïr est ne pas pardonner
l' impardonnable, je hais... De toute manière, je ne pardonne pas; sinon j' irais à la messe le Dimanche !
Et je n' en n' éprouve pas le moindre remord. Qui n' a jamais haï, n' a peut - être pas non plus beaucoup aimé. Nombre de nos contemporains haïssent sans le savoir ( comme Jourdain etc... ), trop occupés
d' eux - mêmes, de leur image, de leurs plaisirs, au point qu' ils ne peuvent même imaginer le mal qu' ils font à l' autre - à moins qu' ils ne considèrent l' exercice comme légitime de leur liberté. L' amour n' est même plus le contact de deux épidermes mais le frôlement de deux autismes.
En général, nous vivons dans une époque d' affadissement des idées et de la pensée. Ecoutez radios et télévisions. On n' y est toujours un peu, un petit peu contre ce qui est pour. Et le premier débat un peu vif est catalogué de polémique pour discréditer l' objecteur dès l' abord. Je n' apprécie pas le slogan : non au F Haine. La question n' est pas la haine; la question c' est SON OBJET. Il n' y a aucun mérite à haïr le petit, le faible, l' étranger - ce voisin venu d' ailleurs. Ce sont étroites haines pour esprits étroits. La bourgeoisie, ses " penseurs " et ses médias qualifient de haine la lutte de classes qui n' est en fait que l' affrontement objectif d' intérêts contraires. Alors, je ne dis pas : " Haïssons - nous les uns les autres ". Je dis qu' il faut haïr ce(ux) qui le mérite(nt). J' ai renvoyé ma vielle amie à d' admirables pages de Zola sur ses haines.
Non, je n' ai pas relu Schopenhauer récemment. Ceci vient d' une expérience très vite achevée de ma vie. On n'apprend pas que dans les livres mais la vie confirme les livres.